Les victimes du DES et la longue, coûteuse et éprouvante voie contentieuse

Une procédure devant les tribunaux est souvent longue, coûteuse et une épreuve psychologique lourde pour les victimes du distilbene DES

Intervention de Maître Martine Verdier, Avocate à la Cour d’Orléans, durant le colloque “Faut-il repenser le droit des victimes d’effets indésirables de médicaments ?“, Mars 2015.

Si la responsabilité d’une firme ou d’un professionnel de santé est engagée, la victime peut engager une procédure contentieuse devant les tribunaux

Pour être indemnisée, une victime d’effets indésirables graves de médicaments pourra rechercher la responsabilité :

  •  de la firme pharmaceutique commercialisant le médicament devant les tribunaux civils (Tribunal de Grande Instance (TGI) de préférence spécialisés dans les affaires de santé)
  • d’un professionnel de santé (prescripteur ou dispensateur du médicament)
  •  d’un établissement de santé :
    • pour un hôpital (établissement public) devant les tribunaux administratifs ;
    • pour une clinique (établissement privé) devant les tribunaux civils
  • de l’État quand cette autorité a failli à sa mission de police sanitaire (exemple du Mediator avec plus de 20 condamnations de l’État depuis le 4 juillet 2014).

D’emblée, il doit être relevé que la voie pénale n’est pas adaptée au contentieux de la santé publique d’une part en raison des délais interminables d’instruction (affaires du sang contaminé, de l’hormone de croissance et plus récemment du Mediator).

Pourtant, dans ce dernier scandale sanitaire, les victimes ont opté pour une citation directe devant le tribunal correctionnel de Nanterre pour tromperie…

D’autre part, l’action pénale peut “bloquer” les actions civiles car le juge civil peut ordonner un sursis à statuer en l’attente de la décision pénale.

Quel que soit le mode d’action choisi, la victime part avec un handicap car la loi lui impose la charge de la preuve :

  • de son exposition au médicament (difficultés d’accès au dossier médical et impossibilité de preuve quand le dommage se révèle des années après l’exposition)
  • de son dommage
  • d’une faute ou d’un défaut (la démonstration d’un défaut permet d’engager la responsabilité d’un producteur même en l’absence de faute).
  • du lien de causalité entre son dommage et la faute ou le défaut*

Outre le fait que la charge de la preuve repose sur la victime s’ajoute l’inégalité des armes quant aux moyens financiers et à l’accès aux données scientifiques et notamment aux documents de pharmacovigilance.

Soit la responsabilité est recherchée sur le terrain de la faute

Dans cette hypothèse, la victime doit prouver la faute de la firme pharmaceutique (vigilance et prudence : arrêts du 7 mars 2006 dans l’affaire Distilbène, la tromperie ou la fraude dans l’affaire du Mediator), et lien de causalité entre le dommage et la faute.

Dans cette responsabilité dite de droit commun, qui reste une option pour la victime, le délai de prescription est de dix ans à compter de la consolidation de son état de santé.

Ce délai de prescription est plus favorable aux victimes. Les victimes du distilbène ont considérablement fait nover la règle de droit.

Depuis des arrêts de 2009, pour les femmes exposées au DES qui ne disposent pas de la preuve de leur exposition, il est admis une présomption d’imputabilité.
Si elles démontrent que leur dommage a pour seule cause possible l’exposition au médicament, il appartient aux laboratoires de prouver que leur produit n’est pas en cause.

De même, les victimes du Distilbène et du Mediator ont revisité la notion de provisions pour frais de procès ou de provision sur dommage devant les juges des référés ou les juges de la mise en état.
Ces provisions permettent de faire face aux frais de sa défense (médecin, avocat, expert…).
C’est essentiel car la victime doit être assistée et accompagnée lors des opérations d’expertise qui constituent un moment clé du procès engagé.

Soit la responsabilité peut être recherchée sur le terrain de la défectuosité

Avec la directive européenne concernant la responsabilité du fait des produits défectueux de 1985 devenu en 1998 l’article 1386-1 du code civil, en cas de dommage causé par un défaut du produit, la responsabilité d’un fabricant peut être engagée même en l’absence de faute.

Mais alors, la victime doit non seulement démontrer son dommage, le lien entre son dommage et la prise d’un médicament (imputabilité), mais aussi la défectuosité du médicament et le lien entre le dommage et ce défaut.

Aux termes de la loi, un produit est défectueux « lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ».

En pratique, si un effet indésirable est mentionné dans la notice ou le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP), le médicament ne sera plus considéré comme défectueux.

Mais si un effet n’est pas mentionné dans la notice, il sera facile pour le laboratoire de nier que la survenue de cet effet est imputable à son médicament…

Ce droit n’est pas favorable aux victimes car en dehors de l’affirmation du concept de responsabilité objective c’est-à-dire une responsabilité sans faute, il reste la charge de la démonstration de la défectuosité du médicament qui s’avère une charge probatoire difficile car les victimes n’ont pas aisément accès aux données techniques et de pharmacovigilance.

Il est inéquitable et contraire au principe de l’égalité des armes des parties dans un procès équitable de faire peser sur la seule victime la preuve non seulement de son exposition au produit défectueux mais au surplus du lien causal entre ce produit et son dommage.

La victime doit en effet apporter la preuve d’une causalité au terme d’un processus où pour l’essentiel le producteur s’est attaché non seulement à se défausser de toutes ses obligations déontologiques et éthiques mais au surplus dans le procès s’applique à en limiter ou pire en cacher les méfaits.

De plus, il suffit pour la firme pharmaceutique de s’emparer des courts délais de prescription :

  • 3 ans à compter de la date à laquelle la victime a ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du producteur (article 1386-17 Code civil)
  • 10 ans après la mise en circulation du produit sur le marché (article 1386-16 Code civil)

D’autant enfin, que la firme pharmaceutique peut s’exonérer de toute responsabilité en démontrant que « l’état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit (…) ne permettait pas de déceler l’existence du défaut » ou en d’autres termes obvier d’un risque de développement (article 1386-11 du Code civil).

Si la victime a réussi à surmonter le parcours d’obstacles qui lui est imposé, quand l’affaire est jugée il reste que les laboratoires pharmaceutiques usent quasiment systématiquement des voies de recours : appel et pourvoi en cassation. L’objectif est d’« épuiser » les victimes, psychologiquement et financièrement, et de tenter de dissuader les actions de masse pour les dommages sériels.

Conclusion

Une procédure devant les tribunaux est souvent :

  • longue (plusieurs années) ;
  • coûteuse (frais judiciaires, honoraires de l’avocat et du médecin conseil, honoraires des experts) mais des provisions peuvent être demandées pour compenser l’avance de ces frais
  • une épreuve psychologique lourde pour les victimes, qui sont confrontées au déni de la réalité de leurs dommages par la partie adverse.

Mon analyse rejoint celle de Sophie Le Pallec et l’expérience des victimes qui ont témoigné ce matin : une des plus grandes difficultés des victimes est que c’est sur elles que repose la charge de la preuve.

Il est choquant que ce soit aux victimes de prouver la toxicité du médicament alors que la logique de la pharmacovigilance voudrait que ce soit aux laboratoires de prouver l’innocuité de leur produit.

Le législateur doit étendre aux effets indésirables des produits de santé le champ de l’article 102 de la loi Kouchner du 4 mars 2002.

Cet article a en effet institué une présomption légale de causalité au profit des transfusés contaminés par le Virus de l’Hépatite C sur qui pèse simplement l’obligation « d’apporter des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produit sanguin », la loi spécifiant que « le doute profite au demandeur ».

Il faut que le législateur adapte notre droit et prévoit une disposition spéciale pour les victimes de médicaments qui opteraient pour une responsabilité pour faute soit parce que le dommage est antérieur à 1985, soit parce qu’elles le choisissent.

La présomption de causalité ou renversement de la charge de la preuve est le seul moyen juridique qui constituerait une avancée considérable du droit des victimes d’effets indésirables de médicaments et en toute hypothèse le doute doit leur profiter.

Le Distilbène DES, en savoir plus

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