Les actions de groupe et le recours collectif

Coline Salaris. Mobilisations en souffrance : analyse comparative de la construction de deux problèmes de santé publique : (familles victimes du Distilbène et agriculteurs victimes des pesticides). Science politique. Université de Bordeaux, 2015

Extrait

Face aux nombreuses contraintes et difficultés impliquées par le recours au droit, les associations, comme les victimes individuelles, tendent à dresser en solution la possibilité d’un recours collectif devant les tribunaux.

Par ce recours collectif,

“il s’agissait dans tous les cas d’associer le caractère individuel de chaque plaignant à un modèle général reflétant l’origine et le caractère commun du recours collectif. […] Les membres d’un recours collectif apportent donc leur témoignage non pas sur plusieurs sinistres isolés mais sur l’ensemble des torts, d’un point de vue probabiliste, qui semblent représenter une menace dans tout système industriel moderne, quelles que soit les mesures prises pour les anticiper”.

Aux Pays-Bas également, un système de recours collectif existe et a permis aux victimes du DES par l’intermédiaire du “DES Centrum” (équivalent de “Réseau DES France”) d’obtenir une indemnisation automatique.

En France, la loi Hamon du 17 mars 2014 posait les fondations d’un premier principe d’action de groupe dans le domaine de la consommation. Excluant d’abord les class actions en matière de santé, cette nouvelle législation répondait à une injonction de la Commission Européenne de 2013 invitant les pays membres à se doter de recours collectifs. La loi de modernisation du système de santé votée le 14 avril 2015 élargit cette possibilité aux “usagers de produits de santé” – décision qui devrait fortement impacter les stratégies judicaires des collectifs victimaires. Nombre de victimes, si ce n’est la grande majorité – ont ainsi témoigné d’une attente très forte vis-à-vis de ces actions de groupe. La mise en place de telles procédures posent néanmoins de nombreuses questions, d’ailleurs différentes entre nos deux cas d’études. Les class actions à la française étaient tout d’abord exclues pour les dommages corporels en raison de la nécessité d’une expertise individuelle dans ce type de dossiers – la grande diversité des situations rendant un examen unique pour le groupe par le juge impossible. L’idée sous-tendue était donc à nouveau que chaque pathologie est unique, et que chaque situation individuelle, selon les modes de vie, peut influencer, renforcer ou non le dommage. Cette future disposition devrait se jouer en plusieurs étapes. Un juge doit d’abord statuer sur la responsabilité du professionnel de santé impliqué. Si tel est le cas, une demande d’indemnisation individualisée devra être adressée directement au professionnel – les laboratoires par exemple – pour qu’un règlement amiable puisse être trouvé par l’intermédiaire d’un médiateur. Si cette demande est refusée par les laboratoires, elle serait alors adressée à un juge. In fine, grâce à ce type de procédure, si la cause du dommage et les responsabilités étaient établies, le règlement de dossiers similaires pourrait faciliter le partage des éléments de preuve entre les victimes.

Certaines difficultés peuvent cependant être opposées à ces nouvelles procédures.

  1. D’une part, les class actions tendent à faciliter les règlements amiables. Ce type de règlement peut apparaître positif en terme de rapidité du contentieux, mais contribue à opacifier la condamnation des laboratoires ou des fabricants des produits impliqués. Le processus de mise en responsabilité publique pourrait donc s’en trouver limité.
  2. Ce type de recours peut d’autre part remettre en question les fondements d’un droit personnalisé, actant un effacement individuel, au profit du groupe de “victimes statistiques“. Aux Etats-Unis par exemple, 90% des cas de class actions se concluent par une transaction, les laboratoires préférant éviter les procès. Un récent dossier en témoigne : après le lancement d’un procès à Boston, les laboratoires ont proposé une somme conséquente à des filles DES touchées par des cancers du sein. Outre l’arrêt de la procédure et l’évitement d’une reconnaissance de la responsabilité du laboratoire, l’accord prévoit que toutes les victimes touchées par un cancer du sein doivent négocier un dédommagement direct avec les laboratoires, en dehors du tribunal. Elles sont par ailleurs largement contraintes à la discrétion sur la question, ne pouvant donc plus participer à la mobilisation collective.

S’il est encore difficile d’évaluer l’impact que la possibilité d’un recours collectif pour les victimes de santé publique pourrait avoir, notre enquête met en évidence les fortes attentes des victimes – quel que soit le cas – vis-à-vis des class actions dans leur recherche de reconnaissance.

Si la question du droit est centrale dans la plupart des travaux sur les victimes, il ne doit en pas en faire oublier que cet axe d’analyse ne constitue qu’un élément de la problématique des actions collectives victimaires. La judiciarisation de problèmes de santé publique ne constitue en rien une dynamique évidente. C’est ce que nous avons souhaité mettre en avant dans ce travail. Le droit et la décision judiciaire ne sont pas les seuls actants de la situation victimaire, et plus largement de l’objet “victimes“. L’arène juridictionnelle peut constituer une scène essentielle dans le processus de construction d’un problème public. Le droit peut être instrumentalisé par les associations dans le processus de mise en responsabilité et dans la construction de la cause. Sur le plan personnel, il peut aussi être envisagé comme un moyen de reconstruction des victimes. Mais le caractère fortement contraignant que représentent les recours en justice limite largement le contentieux des victimes et leur reconnaissance. Partant, ce sont aussi les responsabilités de ces différentes intoxications qui demeurent incertaines. Notre enquête témoigne d’un surinvestissement symbolique du droit, qui se heurte à une crainte de la justice par les victimes mais aussi à des difficultés de confirmation des responsabilités par le judiciaire. Ce surinvestissement peut s’expliquer sans doute par un horizon d’attentes des victimes lié à un idéal de procès pénal où la victime trouverait enfin une place et une compensation à sa souffrance. La réalité des possibilités de recours est en fait tout autre. Comme pour d’autres dispositifs d’indemnisation, il existe ainsi une forme de décalage entre la réalité des procédures et les “attentes de justices” des victimes.

La comparaison menée dans ce travail nous permet d’affirmer que le recours au droit n’est pas la raison d’être des collectifs victimaires, ou le seul recours des victimes individuelles, elle constitue un recours parmi d’autres ; que le droit préside ou non au collectif. Les principes de justification et de formulation du problème de santé publique énoncé doivent donc en passer par une mise en responsabilité au-delà de l’arène juridictionnelle.

Références

  • Lisez la thèse complète Mobilisations en souffrance : analyse comparative de la construction de deux problèmes de santé publique : (familles victimes du Distilbène et agriculteurs victimes des pesticides) sur HAL archives-ouvertes, 23 Feb 2016.
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