Le contentieux du diethylstilboestrol (DES) semble balisé. La cour d’appel de Versailles a, par deux arrêts récents, fait des applications d’opportunité de sa jurisprudence
La cour a, dans un cas d’espèce, assoupli quelque peu les exigences relatives à la validité de la preuve de l’exposition au DES. Elle a, d’autre part et à raison d’un certain bon sens, confirmé l’utilisation du market share liability en répartissant l’indemnisation du dommage causé par le DES selon les parts de marché des deux laboratoires qui fabriquaient la molécule.
Présomptions de faits et preuve de l’exposition au produit
Par deux arrêts du 24 septembre 2009, la Cour de cassation semblait avoir mis un terme aux interrogations relatives à la preuve de l’exposition au DES des demandeurs.
Les faits de ces deux arrêts étaient très proches : il s’agissait de deux femmes atteintes de malformation de l’appareil reproducteur, dont les mères s’étaient vues prescrire du DES pour limiter les risques de fausse couche. Une différence notable distinguait cependant les deux espèces : l’une des requérantes présentait une pathologie que seul le DES pouvait avoir causé ; la seconde était atteinte d’une maladie dont le médicament n’était pas la seule cause possible.
Cette différence a été retenue par les juges pour statuer sur la question de l’exposition au produit, qui figurait comme l’une des difficultés probatoires majeure dans ce contentieux où les faits remontent à plus de quarante ans.
Dans le premier arrêt, la cour suprême a confirmé la position de la cour d’appel ayant fait droit aux demandes de la requérante. En bonne logicienne, la cour a considéré que l’existence d’une pathologie exclusivement imputable à une exposition au DES permettait de considérer que cette dernière n’avait pas d’autre cause possible. En conséquence, les juges en ont déduit que la demanderesse avait nécessairement été exposée au produit mis en cause.
A l’inverse, dans la seconde espèce, la pathologie de la demanderesse n’était pas caractéristique du DES Les malformations de l’appareil reproducteur pouvaient donc avoir une autre cause que l’exposition in utero au médicament, et les juges n’en ont pas déduit une exposition au médicament. En l’absence d’autre élément de preuve, les demandes de la requérante ont été rejetées.
A l’issue de ces décisions, la situation probatoire concernant l’exposition au DES paraissait relativement simple et présentait l’avantage de ne reposer que sur des critères objectifs : à défaut de preuve écrite d’une exposition in utero (ordonnance ou dossier médical), cette preuve pouvait être établie en rapportant l’absence d’autre cause possible de la pathologie.
Dans un arrêt du 13 octobre 2016, la cour d’appel de Versailles admet l’exposition au produit sans qu’aucun de ces éléments de preuve ne soit rapporté. En effet dans cette affaire, la requérante était atteinte d’une pathologie non spécifique au DES, et ne disposait pas d’écrits probants (ordonnance ou dossier médical).
Pour arriver à cette conclusion, la cour a déclaré recevable le témoignage de la mère « corroboré par le témoignage précis de son gynécologue sur sa pratique habituelle ». Celui-ci avait déclaré que, sans dossier médical, il ne pouvait garantir avoir prescrit du DES à la mère de la requérante et ne pouvait, avec certitude, que mentionner la marque qu’il avait l’habitude de prescrire à ses patientes à l’époque des faits (i.e. à l’époque de la grossesse de la mère). Or, cette même cour considérait auparavant, et de façon constante, que dans ce contentieux spécifique le témoignage des proches n’avait qu’une « faible valeur probante » eu égard, notamment, au phénomène de « demémorisation » qui affecte nécessairement les souvenirs vieux de quarante ans.
On peine ainsi à embrasser le raisonnement des conseillers versaillais qui déduisent l’exposition de la demanderesse au DES à partir de la seule indication de la marque du médicament habituellement prescrit par le médecin, alors-même que sa pathologie pouvait avoir une origine autre que cette exposition – qui reste de fait hypothétique – à la molécule.
La suite du raisonnement est, partant, artificielle, lorsqu’ils déduisent l’imputabilité du dommage de la requérante au DES en reconnaissant l’existence d’une « grande probabilité d’association entre cette exposition au Distilbène et la pathologie constatée » et « l’absence d’autre cause possible de la survenance de la malformation observée », alors même que les experts considéraient que l’anomalie n’était pas « typique » d’une exposition au DES.
Il serait donc difficile de ne pas voir dans cet arrêt les traits d’une décision d’opportunité fondée sur la conviction des juges (forgée à partir des affirmations des médecins et de la mère de la demanderesse) que la pathologie de la requérante était imputable au DES.
En l’absence d’éléments probatoires strictement objectifs, la cour d’appel de Versailles a fait montre d’une volonté de faciliter l’indemnisation de la demanderesse dès lors que les éléments de fait convergeaient indéniablement en faveur d’une imputabilité de la pathologie au DES. Cet arrêt s’inscrit dans un ensemble jurisprudentiel (on pense, parmi les nombreux exemples, au litige relatif au Kaléorid® ou au contentieux relatif au syndrome de Lyell) qui, de façon constante, s’attache à aménager les conditions de la responsabilité, ou de la preuve, au bénéfice des requérants lorsqu’une incertitude irréductible plombe l’issue d’un contentieux en indemnisation.
Ce mouvement « victimologiste » ou indemnitaire est devenu une marque non négligeable du contentieux des produits de santé et l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 13 octobre 2016 en est une nouvelle illustration.
Confirmation de l’utilisation des parts de marché dans la contribution définitive à l’indemnisation
Au cours de cette année 2016 la cour d’appel de Versailles s’est également positionnée sur la répartition de la contribution à l’indemnisation entre les différents fabricants de DES.
Elle a confirmé l’usage du market share liability, pratique qui consiste à répartir la contribution à la dette en fonction des parts de marché de chacun des membres d’un groupe incluant le responsable non-identifié d’un dommage.
Cette application concrète de la théorie du risque a été utilisée pour la première fois aux Etats-Unis dans le contentieux du DES où il était impossible de déterminer lequel des (presque 300) fabricants de la molécule avait produit le médicament précisément utilisé par la victime. En l’espèce, l’ensemble des laboratoires mis en cause avait été condamné, et l’indemnisation de la victime répartie entre eux au prorata de la part de marché de chacun.
En France, la solution classiquement retenue par les juridictions était, comme pour les co-responsables d’un dommage, de répartir l’obligation à la dette en parts viriles, c’est-à-dire à parts égales entre les différents responsables potentiels. Cependant, la répartition du marché du DES était très disproportionnée (5 % pour NOVARTIS SANTE FAMILIALE (NSF) et 95% pour UCB PHARMA) de sorte que la répartition à 50/50 de l’indemnisation des victimes est rapidement apparue excessive pour le laboratoire minoritaire.
L’usage du market share liability – qui apparait être la solution la plus équitable – a été initié en France par le tribunal de grande instance de Nanterre le 10 avril 2014(12), dans deux litiges mettant également en cause les fabricants de DES. Ce sont ces décisions qui ont été confirmées par la cour d’appel de Versailles dans les arrêts rendus en juin et en octobre 2016, validant ainsi le partage de l’indemnisation selon les parts de marché de chacun des laboratoires.
Ainsi, bien que l’approbation par la Cour de cassation soit nécessaire à une parfaite consécration du market share liability, l’année 2016 a été l’occasion de confirmer l’introduction progressive de cette technique de répartition de la contribution à la dette dans notre droit positif.
Références
- Lisez la publication de Paul DAVID (élève avocat) et Laure DUSART (avocat) sur sea-avocats, 19/12/2016 – Contentieux, défense produit & image.
- Image crédit Nils.